"Enfant" de la DDASS, j’avais réussi à me faire mon petit nid, tout seul car peu de suivi à ma sortie de foyer. J’avais un boulot, un petit appartement, pas mal d’activités en parallèle (musicien dans différents groupes ou solo, graphiste), une petite amie.
Tout a basculé quand la faucheuse est venue me la prendre. Pétage de plomb. Je suis parti. J’ai tout lâché. Tout abandonné.
Ne supportant plus tout ce qui m’entourait, je suis parti au hasard. Au bout de quelques mois je me suis exilé durant un an à Londres. La barrière de langue que je maîtrisé tout juste m’a permis de me vêtir de silence. J’enchainais les petits boulots (parfois 3 par jour). Je ne pensais plus, ne réfléchissait plus, n’envisageais rien. Je bossais, je picolais, je me défonçais et je dormais.
Je suis revenu en France, fatigué d’une année pourtant riche de rencontre.
J’avais tout à refaire.
Je suis venu sur Paris me disant "tant qu’à vivre à la rue, autant le faire dans la plus belle ville du monde".
J’ai rencontré pas mal de monde dans la rue. Je me suis rendu compte à quel point nous étions nombreux. Nombreux et parmi ces ombres, pas mal de générosité et de solidarité.
J’ai appris la manche (et en suis devenu un champion tel qu’on se bousculait pour me tenir la grappe.) J’ai très vite repris du poil de la bête en m’habituant au froid, à l’indifférence, à la saleté.
A l’époque, physiquement ça allait encore et j’ai vite bossé, Rungis dans un premier temps pour me faire pas mal de fric et pouvoir dormir à l’hôtel. Enfin hôtel, plutôt marchand de sommeil à 800 euros le mois, sans sanitaire à part un chiotte sur le palier. Ça a duré quelques temps jusqu’à ce que je ne puisse plus supporter de ne bosser que pour me payer un lit miteux sans pouvoir cuisiner.
La rue m’a vite rappelé à elle.
J’ai continué à bosser (intérim : Ripeur/éboueur, cuisinier, bâtiment…) + la manche.
Je claquais tout en alcool, en drogue, en clope, en transport (je voyageais beaucoup pour me rendre là où il y avait du boulot, une meilleure météo…) Je tenais debout mais, insidieusement, la clochardisation prenait le pouvoir.
Et toujours, je revenais sur Paris. J’y avait mes amis de la rue (la plupart sont morts et me manque terriblement).
13 ans de vie à l’arrache.
L’hiver 2006/2007 a été un déclencheur. L’occupation du Canal St Martin par les Enfants de Don Quichotte, la création de l’association les Enfants du Canal, la main tendue d’une bénévole qui a cru en moi.
Nous sommes en 2012, je ne vie plus à la rue depuis 4 ans maintenant. J’y ai laissé des plumes (santé, galère à retrouver une vie sociale, administrative…)
J’ai un toit, une compagne et depuis peu une petite gamine.
J’ai 40 ans et chaque nouveau jour, je le prends comme un cadeau. Je n’oublie pas mon parcours et celles et ceux que j’ai croisé.
Je n’ai pour seul souhait personnel de vivre au moins encore 20 ans.
Je n’ai comme seul autre souhait (comme disait l’autre gugusse) que "plus personne ne soit obligé de vivre à la rue et d’y mourir" mais cela bien loin des promesses électoralistes.
Une main tendue, ça n’engage rien d’autre qu’un petit geste qui peut, par ricochet, bouleverser toute une vie.
Ervé
"Vivre fou pour mourir sage (Cervantes) - Mon patrimoine est la chimère"
(libre à vous de publier ce témoignage)
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